VIVRE LA COMMUNION ...
Une expérience, celle de Cerfroid
|
Au petit matin, frères,
soeurs, laïcs, nous entrons dans la salle de lectio. Chacun
s'installe à sa table.
Un cierge brille devant
l'icône de la Trinité de Roublev, nos voix s'élèvent alors pour
louer "A Toi louange, à Toi Gloire, à Toi Action de grâce "Viens,
Esprit Saint" ...
La prière se poursuit dans
une demi obscurité où seules les Bibles ouvertes sont éclairées. |
Ensemble et chacun à son
rythme, à l'image du Christ qui se reçoit entièrement du Père, nous nous
laissons façonner un coeur de fils, un coeur de frère.
Mais comment l'être en
vérité ? La vie entre frères n'est pas toujours facile ou évidente. Elle
est le fruit d'un travail intérieur, elle se reçoit d'un Autre.
Elle appelle à descendre
«au plus profond de soi» pour rencontrer Celui qui nous apprend la
fraternité.
Après ce temps de lectio
divina, nous descendons vers la chapelle. Là, derrière l'autel, nous
attend le sceau de l'Ordre "Signe de l'Ordre de la Sainte Trinité et des
Captifs" : deux hommes enchaînés, appelés ensemble à la gloire du Père
par le Christ, Dieu éminemment présent au coeur de toutes nos blessures,
nos enfermements, nos volontés d'autosuffisance, Dieu solidaire de notre
humanité blessée. Dieu qui nous rend capables de vivre ensemble en
communion.
Ce sceau nous renvoie à
cette phrase des Alcooliques Anonymes ! "Je ne suis pas O.K, tu n'es
pas O.K., mais c'est O.K.". Tous nous sommes invités à faire en nous
l'expérience merveilleuse de la puissance de libération du Christ, c'est
Lui qui nous entraîne, qui nous relève pour vivre l'aventure de la
fraternité. Nous n'avons qu'à nous laisser faire pour que la vie
surgisse en nous.
"Allez dans la paix du
Christ" ... La fin de l'Eucharistie marque l'entrée dans le quotidien,
cette vie fraternelle appelée à juste titre : "Ecole de communion".
Les bonjours retentissent, les volets s'ouvrent ... gestes ô combien
signifiants ! Oui, regarder l'autre en lui souhaitant un jour plein de
la bonté de Dieu, en lui, autour de lui, pour lui ! Quel prodigieux
mouvement de sortie de soi !
Et pourtant, ne nous
masquons pas la réalité, pensons à tous ces jours où le sentiment de
solitude, le soleil absent, la fatigue ... rend tout plus difficile.
Est-ce si «naturel» de s'ouvrir devant un visage triste ou renfrogné ?
Quand le coeur n'y est pas ? Quand le poids du jour ou du doute se fait
sentir ? Et pourtant l'Amour «fou» de Dieu pour moi, le soleil, existent
toujours et la capacité à aimer de mon frère,
de ma sœur également ... Alors pourquoi cette lourdeur ?
Parce que la vie de
relation n'est pas d'abord une question de ressenti mais de foi !
Quelles que soient nos capacités pour vivre la relation, l'épreuve de la
foi survient inévitablement. Elle seule peut nous aider à percevoir sous
le voile de pluie ou de brouillard, sous le visage méfiant ou agressif,
ces fragments de beauté diffuse ces appels à aimer et à être aimé.
N'oublions pas l'icône de
la Trinité : au centre le calice. Le don, la rencontre passe aussi par
le sacrifice, c'est à dire la capacité de rendre "sacré" chaque instant.
Nous sommes appelés, jour après jour, à sortir de nous-mêmes pour entrer
dans le mouvement pascal du Christ qui nous fait passer de la nuit à la
lumière, de
la mort à la
vie, de
l'enfermement à la communion, et ce passage ne se vit que dans la foi !
La journée se poursuit dans
cette alternance de travail et de détente, de repas conviviaux et de
prière, d'écoute et de partage. Et à tout moment surgit la différence.
On dit qu'elle nous enrichit : c'est vrai mais pas à n'importe quelle
condition ! Très souvent l'altérité nous blesse, nous "altère" ...
Là, au quotidien, nous
sentons toutes ces "chaînes" de
méfiance de
repliement sur soi, de jugements hâtifs, de ce désir que l'autre pense,
vive comme moi, qu'il décrypte sans rien dire mes désirs...
Et je suis déçu, de moi,
des autres, en me heurtant à mille contrariétés objets mal placés,
empruntés, points de vue différents, imprévus ... . Sans cesse j'ai à me
décentrer, à accepter que l'autre soit là ... autre que moi ! Evidence
qui bouscule mon désir de fusion !
"Il me traite comme un
enfant": cette phrase plusieurs fois entendue révèle notre besoin
d'être reconnu mais aussi celui de dominer l'autre, que ce soit par
protection, par condescendance ou par désir d'avoir raison ... Que de
conseils, de listes de prescriptions étouffent l'autre, le paralyse.
Que devient le respect de
l'autre accueilli dans sa différence ? Le regard plein de bienveillance
qui révèle à l'autre le meilleur de lui-même ? La charité ? Il nous
faut sans cesse remettre notre propre chaîne au Christ dans l'humble
acceptation de nos limites, sortir du «centre du monde», Lui laisser la
place. Alors seulement nous pouvons découvrir dans le visage du frère,
celui du Christ.
Et voici le soir. Nous y
faisons l'expérience de l'importance, pour la qualité de la vie
relationnelle de la maison, de ces temps où chaque communauté se
retrouve dans son propre lieu. Nous avons à être proches et pourtant
sans confusion. Chacun a son histoire, ses manières d'être et c'est ce
qui donne couleur et richesse à l'ensemble.
C'est ce temps vécu au sein
de chaque communauté de frères ou de sueurs qui nous permet de nous
situer face aux autres sans crainte, donc sans vouloir exercer de
pouvoir. Vivre les relations dans cet esprit d'ouverture permet alors
d'accueillir la différence comme source d'émerveillement.
Cet apprentissage du
dialogue, l'ensemble de la communauté le vit chaque vendredi. Frères,
sueurs et laïcs s'y retrouvent pour échanger, partager, s'ajuster.
Chacun, à tour de rôle, est appelé à dire une parole pour le bien
matériel ou spirituel de la maison. Chacune de ces paroles est
accueillie, entendue, débattue ... et le sens de la responsabilité
grandit car toute parole échangée engage. Des mercis sont donnés, des
efforts à faire ensemble demandés, mais aussi des demandes de soutien,
des joies et des peines sont partagées.
Vouloir vivre en communion
appelle à se construire personnellement, à savoir exprimer sa propre
pensée, ses idées, ses projets, ses ressentis ... mais à leurs justes
places ; il s'agit d'apprendre à avoir toute sa place, que sa place, ...
et laisser le «centre» à l'Amour.
Permettre d'être soi-même, de
se sentir utile, reconnu au coeur de nos fragilités, n'est-ce pas notre
désir à tous ? Que de personnes accueillies se sentent chez elles
simplement parce que nous leur avons fait une vraie place, parce que
nous leur avons manifesté notre confiance, le "besoin" que nous avions
d'elles en leur laissant prendre leur part de travail, à leur propre
rythme.
C'est une attitude à acquérir,
une démarche d'imagination, d'oubli de soi qui est sans cesse requise
pour vouloir marcher en communion, pour se laisser aider, pour donner sa
vraie place à l'autre.
Et pourtant, Dieu lui-même,
fait-Il autrement ? Il ne veut rien faire sans nous ; et qui sommes-nous
pour prétendre l'aider ? Quelle audace de sa part !
Et bien avec Lui, entrons dans
cette audace divine.
Soeur Jean-Gabriel
c.ss.t
<
Sommaire du N°23
> |